Le carnage
rideau

A 18 heures, les hommes de Debrosse se mettent en marche, masse noire des casques et des vareuses, impressionnante, hostile, le plat du mousqueton en avant pour repousser la foule. Leurs armes ne sont ni chargées ni approvisionnées. Mais les hurlements, les insultes, les pierres et les bouteilles s'abattent sur eux.
C'est l'hystérie. De la foule jaillissent les pires insultes. Une grenade claque sur la chaussée de l'avenue Pasteur. Elle vient de la foule. Les gendarmes se déploient à la hauteur du monument aux morts, la crosse en avant et chargent.
Un F.M. des U.T. marine est placé au-dessus du tunnel des facultés. Il est 18 h 14. Au bas de l'avenue Pasteur les gendarmes, que l'on aperçoit de profil, s'apprêtent à charger la foule. Le F.M. du tunnel lâche sa première rafale prenant en enfilade les premiers gendarmes, qui tombent sur la chaussée.
C'est le signal du carnage. Tous les F.M. dont on connaît le plan de feu, toutes les armes des U.T. et des miliciens d'Ortiz crachent ensemble. Le fracas est épouvantable. Les gendarmes cherchent à se protéger. Ils cherchent aussi désespérément les paras. Les deux troupes ne s'aiment guère mais elles sont dans la même galère ! Les paras de Dufour et Broizat ne sont pas au rendez-vous. Les gendarmes ont chargé leurs armes et ripostent à leur tour. Le feu s'intensifie. Le trottoir de gauche du boulevard Laferrière, le long de la façade du journal militaire Bled, est littéralement arrosé par les F.M. La fusillade dure vingt minutes. C'est ignoble. Le colonel Debrosse en avertit Fonde. J'ai quatre tués, des blessés. Un F.M. tire du P.C. Ortiz et les paras ne sont pas là.
 Stoppez où vous êtes et attendez les paras , ordonne Fonde.
Nouvel appel.
Ça tire de partout, crie Debrosse. Les paras ne sont pas là.
 Mais bon Dieu de bon Dieu, dit Fonde, qu'est-ce que foutent les paras ? Ils ont deux cents mètres à faire !
Dufour, le para, n'arrive qu'à 18 h 35. Près d'une heure aprèsêtre parti. Le feu des armes lourdes a cessé. A l'horreur succède l'ignoble. La foule, surexcitée depuis des heures « chauffée » par les slogans, atterrée par la fusillade, se « paye » du gendarme. On se rue sur les blessés pour les achever.,

gendarmes à Alger
emeute du 24 janvier 1960

Enfin, les paras ramènent un peu de calme. Le haut-parleur du journal Bled lance un appel au cessez-le-feu. Un manifestant un peu plus lucide que les autres hurle : « Cessez le feu ! On se tire les uns sur les autres. »
Les paras s'emploient maintenant à protéger les gendarmes de la vindicte populaire. Chacun ramasse ses morts. Car il y en a du côté des manifestants. De pauvres gens viennent de payer de leur vie la folie des chefs qu'ils se sont imprudemment donnés. Roger Hernandez,de trente-quatre ans, s'est écroulé, mort, au pied de la barricade qui pendant huit jours portera son nom. Un manifestant plonge un drapeau tricolore dans le sang de l'U.T. et le plante sur la barricade.
Fonde a donné à Debrosse l'ordre de reculer et de regagner le Forum, en emmenant ses morts et ses blessés. Le député Kaouah, qui a contribué, au balcon Ortiz, à exciter cette foule désespérée, vient de sauver lui aussi un gendarme que l'on voulait lyncher. Il y a récolté un coup de pied « bien placé » qui l'a plié en deux.
Debrosse, accompagné de parachutistes, fait les portes cochères pour récupérer ses blessés, assiégés par une foule en fureur. Car il est bien évident que pour les manifestants qui ne savent rien ni du plan de feu, ni des pneus bourrés d'explosifs lancés contre les gendarmes, ni des pains de plastic piqués de crayons allumeurs jetés des fenêtres, ce sont les gendarmes qui ont tiré les premiers. Ils doivent payer. Devant le P.C. Ortiz, les scènes d'hystérie se multiplient. On crie vengeance contre les gendarmes assassins.
A 20 heures, on connaît le bilan.
Chez les gendarmes 14 morts et 123 blessés. Chez les manifestants 6 morts et 24 blessés.
Le 24 janvier, la folie a gagné Alger. L'épreuve de force est engagée. Dans leurs P.C. respectifs Lagaillarde et Ortiz s'organisent. Ils soutiendront le siège. Ils sont décidés, disent-ils, cette fois que l'irréparable a été commis, à aller jusqu'au bout. Et ils ont bon espoir car maintenant que le camp retranché est délimité, que les U.T. et les miliciens en armes montent la garde derrière les barricades, l'armée devient l'arbitre entre Paris et les insurgés. Et l'armée à Alger, au soir de ce 24 janvier 1960, c'est trois régiments de paras que la population encore hébétée par le drame qu'elle vient de vivre acclame en sauveurs.

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Manif du 24 janvier 1960